Les erreurs du livre
Côté éditeur
On peut regretter la présentation quelque peu maladroite du texte (depuis le nom de l’auteur qui manque au niveau de la page du titre ou la table des matières qui n’en est pas une, jusqu’aux choix de mise en forme, comme la disposition des parties et des chapitres, ou plus généralement, l’interlignage adopté…), les fautes d’orthographe (plus des coquilles qu’autre chose), de grammaire (l’auteur écrit « censé » au lieu de « sensé », p. 30 ; « le préservatif ralenti et amoindri le plaisir », sans « t », p. 53 ; etc.), de syntaxe (surtout en ce qui concerne la formation de propositions et l’utilisation intempestive du point à la place de la virgule et du point-virgule), de style (la désobligeante utilisation du « on », entre autres), de langue (p. 23, il est écrit « faire » ; il faudrait plutôt écrire « pratiquer » ; « ça avait été » au lieu de « cela aurait été », p. 48, etc.), mais aussi les mauvaises interprétations (sur l’aspect psychologique du « papa et maman », p. 22 ; sur le sens de la différence entre nature et culture, p. 33 ; sur le sens et l’essence d’un jeu, p. 40 ; et plus important sur l’utilisation du terme « Android » par le Président de la République, p. 41-42 ; etc.) et les accusations graves (contre les enseignants par exemple, pp. 22, 32), quand il ne s’agit pas de la simple moquerie de mauvais goût (sur le statut des homosexuels dans notre pays comme à la page 38). Qu’il y ait tant de choses à dire sur la forme d’un texte laisse grandement à désirer, car il est difficile dans de telles conditions, de se concentrer sur son contenu. On mettra peut-être cette situation sur le dos de la jeunesse de la maison d’édition.
Coté auteur
Dans le même ordre d’idées, mais concernant le « fond » du travail cette fois-ci, on peut légitimement regretter le fait que les analyses de l’auteur ne vont jamais jusqu’au bout et sont assez souvent maladroites. On se contentera de signaler seulement les erreurs les plus saisissantes.
À la page 33, l’auteur semble établir une différence entre nature et culture sur la base de ce que « le culturel est ce qui s’ajoute à la nature ». En réalité, et comme cela a déjà été montré par les philosophes (notamment Hegel et les phénoménologues comme Merleau-Ponty), ainsi que les anthropologues (comme Lévi-Strauss), la nature et la culture sont des domaines essentiellement différents entre lesquels il n’existe pas forcément une continuité cumulative, de sorte que la culture est souvent, non ce qui s’ajoute à la nature, mais ce qui s’y oppose, qui la nie.
De même, aux pages 41-42, quand l’auteur croit critiquer l’usage que le Président de la République a fait du terme « Android », il ne fait que confondre le nom du système d’exploitation de Google avec le sens du dictionnaire de français. Il en résulte une critique à la fois mal- et dé- placée.
Il semblerait également que l’auteur n’ait pas bien saisi la dialectique du Maître et de l’esclave de la Phénoménologie de l’esprit, vu qu’il la confond à la « dialectique historique » de Karl Marx (p. 101).
Plus encore, on douterait volontiers des connaissances de l’auteur en ce qui concerne l’usage de l’art dans l’Afrique précoloniale et durant l’esclavage, pour ce qui concerne par exemple ce qu’il dit du blues (p. 62).
Une dernière remarque s’impose enfin quand la forme devient fond, ce qui se passe dans la citation. Ici, l’auteur confond allusion et citation. Cet amalgame est fréquent dans le livre et trahit grandement les tentatives d’argumenter depuis une référence solidement établie. Par exemple, l’auteur ne s’encombre pas de donner les références de ses citations (dire Platon, Mbembe, Foucault, Njoh-Mouelle, Gondola, etc., semble lui suffire), technique qu’il applique aux autres domaines où la rigueur se fait supplanter par l’approximation : l’auteur se contente en effet d’écrire « le jeune artiste », « le philosophe », « la chanson », « le jeune rappeur », etc. en guise de références…
République du piment et la femme
Il serait fastidieux d’énumérer tous les thèmes traités de manière peu convaincante par le livre. L’auteur s’est d’ailleurs excusé à ce sujet en ce qui concerne la nature de son propos. Cela est à mettre à son crédit. Toutefois, le thème de la femme semble être suffisamment important pour qu’on le mentionne.
En effet, l’image de la femme est partout présente dans le livre, depuis la couverture dominée par un pied d’escarpin dont le talon effilé à l’extrême sert de « i » à République sur la première de couverture, jusqu’au plaidoyer qui clôt l’exposé. Mais c’est surtout dans le cœur du livre (pp. 46-87) qu’on voit se déployer la thèse de l’auteur qui est que les femmes sont essentiellement chosifiées, considérées comme pourvoyeuses d’un piment qu’elles ne vivent jamais, mais subissent à chaque instant : dans la vie quotidienne (chap. 5, 6 et 7), « dans la bouche des artistes » (chap. 9), de la part des « hommes » (sic) politiques (chap. 11), et sur internet, de la part des « Blancs » (chap. 10).
L’auteur présente également les femmes et les filles comme n’ayant souvent rien d’autre à vendre que leur piment, pour sortir d’une vie de misère (p. 56, etc.) en même temps qu’il fustige le fait que la société réduise la femme « au niveau de la chose, de l’animal » (p. 67), surtout dans la « bouche des artistes ». On se serait alors attendu à ce que le livre propose une autre vision de la femme, contraire à celle qu’il estime être en vigueur dans la société camerounaise, mais il n’en est rien. Par ce geste, l’auteur reproduit inconsciemment l’attitude qu’il critique, car il n’y a nulle part dans le livre des mots gentils pour traiter de la femme et aucun plaidoyer en faveur d’une approche différente de ce sexe qu’il présente partout comme « faible », allant même jusqu’à soutenir la complicité de ces dernières dans le traitement qui leur est réservé dans la musique et dans la société, quand il écrit que « ce lynchage… semble leur plaire » (p. 68). À la lecture du livre, on a vraiment de la peine à penser que l’auteur prend la défense de la gente féminine.
Conclusions
À partir de ce qui précède, nous pouvons risquer des réponses à trois questions qui nous paraissent fondamentales :
1)Le livre aide-t-il à se réconcilier avec la littérature ?, ce qui semble avoir été le but à la fois de l’éditeur et de l’auteur, si on en croît sa quatrième de couverture. À cette question, il faut répondre par la négative, pour les raisons que nous avons déjà évoquées, depuis la qualité du traitement du sujet, jusqu’à la forme de l’exposé, en passant par le contenu des affirmations de l’auteur assez problématiques quelques fois.
2)A-t-on vraiment besoin d’un livre pour expliquer aux Camerounais qui utilisent ce terme tous les jours, que le « piment » représente métaphoriquement le sexe et toutes les attitudes qui s’y rattachent ? Et plus encore, un livre de cette sorte qui ne s’élève pas au-dessus du sujet qu’il traite ? Ici aussi, la réponse doit être négative, car le livre ne nous apprend rien de ce que nous ne sachions déjà, en plus de parler une langue que nous parlons déjà. En clair, ce livre n’ajoute rien à notre connaissance du « piment », ce qui est quand même dommage.
3) Est-ce qu’il fallait alors écrire ce livre ? Oui ! Sans aucun doute, même s’il aurait peut-être mieux valu qu’il ne se présente pas sous cette forme, mais plutôt sous une forme narrative, disons un roman, ou au moins une suite de nouvelles, ou même de chroniques (réelles cette fois) d’un personnage que l’auteur pourrait par exemple inventer : Nathalie serait un nom assez évocateur pour une telle entreprise. Dans cette optique, la formidable imagination de l’auteur – ce qui est son principal mérite – serait véritablement mise en avant et aurait alors une place de choix dans la marche générale du récit sur le « piment ». En outre, une telle option libèrerait l’auteur du fardeau de l’argumentation et de « l’appel de la réalité » (auquel l’auteur résiste en ne révélant pas le nom de ceux dont il parle : « La jeune FD », « KS », « Monsieur XYX », « WY », etc.). Le récit étant clairement et ouvertement identifié comme fictif, cette précaution deviendrait par elle-même superfétatoire.
Pour finir, j’aimerais souligner le fait que le livre met le doigt sur un thème important et assez présent dans notre société, même si, au lieu d’analyser le phénomène du « piment » de manière serrée et rigoureuse, il l’approche au travers d’un télescope dont l’effet de la lunette n’est pas le grossissement, mais le rapetissement. La forme romanesque offrirait à cette faiblesse le pouvoir de se métamorphoser en sublime rayonnement.
Douala le 09 octobre 2017.